La Belle et la Bête [Pv : Lorelina/Lukos]

Le chaud soleil hellénique dardait impitoyablement ses rayons sur Eratos. Ce devait être la plus chaude semaine de l'Été et, malgré le fait que je me tenais à l'abri sous le porche ombragé du Temple d'Aphrodite, dont j'étais le gardien, je ne pouvais me soustraire à cette chaleur brûlante qui cognait sur tout le pays. L'atmosphère était chaude, voire étouffante, et moi plus que n'importe quel habitant de l'île j'en ressentais les effets. Non pas que je fusse exagérément vêtu, car l'armure de gardien que je portais en ce moment se résumait à deux protège-tibias, à une paire de gantelets, à un pagne et à une plaque de bronze retenue sur la partie gauche de ma poitrine grâce à deux larges lanières de cuir. Quant à mon casque, cela faisait un moment que je l'avais enlevé et qu'il gisait sur le sol de marbre. Non, mon véritable problème par cette journée caniculaire provenait de cette fourrure qui me recouvrait tout le corps et qui, en dépit de son manque d'épaisseur (elle était assez mince pour qu'on puisse distinguer en-dessous et sans effort les reliefs de chacun de mes muscles), était particulièrement isolante... Et si j'avais été capable de transpirer, il ne m'aurait sans doute fallu qu'une heure à peine pour puer la charogne. Mais comme ce n'était pas le cas et que j'étais dépourvu de glandes sudoripares, j'étais obligé de haleter bêtement, comme un chien, le dos voûté et la langue pendante. Appuyé sur mon javelot, je regardai la ville d'Eratos, située en contrebas de la colline verdoyante au sommet de laquelle se trouvait le temple, et je constatai qu'à cause de cette chaleur, l'air semblait onduler, comme si cette ville bougeait d'elle-même.

*Bah, cesse donc de te plaindre, pensai-je, là où tu es tu as au moins la chance de respirer un air pur... Les bourgeois, eux, doivent vivre à proximité des poubelles de la ville, empuanties par les rayons du soleil qui accélèrent la décomposition des ordures...*

M'appuyant contre le mur situé à ma gauche, je regardai avec plus d'application le bas de cette colline... Un éclat doré particulièrement violent m'éblouit et, retrouvant la vue peu à peu, je sortis de sous ce porche, grimaçant sous la caresse des rayons brûlants du soleil contre mon pelage, et je me rapprochai pour distinguer l'intrus, une main appuyée contre le front pour ne plus être aveuglé par ce que je supposais être un reflet. Quelques minutes, qui me parurent une éternité, s'écoulèrent avant que je ne puisse distinguer clairement les traits de ce visiteur. Lorsque je le reconnus, j'abaissai immédiatement mon javelot. Cette personne n'était en effet pas une menace, pour la simple et bonne raison qu'il s'agissait de Lorelina, sublime monarque d'Eratos et prêtresse de ce temple. Et cet éclat de lumière qui m'avait aveuglé n'était autre que celui des rayons du soleil se reflétant sur le large collier d'or massif qui recouvrait l'opulente poitrine de ma souveraine. Je ne m'attendais pas à la voir arriver maintenant mais dès que je la reconnus, et ce malgré la chaleur qui me rendait presque malade, je cessai d'haleter et je me redressai de tout mon long, de sorte à paraître droit et fier devant ma reine. Puis, je fis quelques pas en arrière afin de retourner à l'abri du porche. Et lorsque la grande prêtresse d'Aphrodite fut arrivée elle aussi sous ce porche, je m'inclinai respectueusement devant elle, posant un genou à terre et baissant le regard afin de la saluer dignement.

- Veuillez pardonner mon relâchement, ô ma reine, mais cette chaleur étouffante que le dieu Helios nous fait subir depuis déjà une semaine est pour moi un véritable calvaire... J'espère ne pas vous avoir offensée par mon attitude accablée, que vous avez probablement remarquée en vous approchant avant que ne vous reconnaisse, lui dis-je d'un ton navré.

Après avoir prononcé ces mots, je me tus, me retenant à grand mal de recommencer à haleter, et j'attendis patiemment que ma souveraine m'autorise à me relever.