Pendant les minutes qui suivirent, Isobel travailla à ses médications. Quand elle s'attelait de la sorte à sa tâche, le monde extérieur cessait d'exister pour elle. Si les habitués du temple ne s'en étonnaient plus, il arrivait que des visiteurs moins au fait de ses manies la pensent sourde... pour ne pas dire folle !
Elle ramassa une boule de cire qu'elle pétrît pendant quelques secondes entre ses mains fines pour la rendre plus malléable. Quand la matière se fut réchauffée entre ses doigts, elle s'en servit pour sceller les pots nouvellement remplis. "Une bonne chose de faite !" songea la prêtresse. Avec le travail achevé pendant ce début de matinée, elle devrait être tranquille pour plusieurs jours. Peut-être même pourrait-elle faire parvenir de l'onguent cicatrisant aux Arènes, toujours prodigues en blessures.
Selon une habitude qu'elle avait pris quand elle était enfant, elle essuya ses mains sur ses vêtements. Une manie qui avait rendue folle sa mère et qu'elle n'avait réussi à réfréner que pendant la courte période où elle avait fréquenté les salons londoniens. Une époque bien lointaine... Sa robe en lin ivoire était déjà tâchée d'herbe, ses préparations laissaient des marques luisantes sur le tissu fin, si bien qu'elle n'était plus à ça près !
Elle ferait bien d'aller se changer avant tout autre chose si elle ne voulait pas encore se faire taper sur les doigts par le chef des Prêtres. Il serait fichu d'aller la cafter à Hélios ! Elle se releva en s'étirant, légèrement engourdie pour être rester si longtemps en position assise. Sous ses pieds nus, les brins d'herbes poussaient étonnamment vite. C'était un effet de sa nature de Dryade dont elle ne se plaignait pas.
Isobel ramassa ses pots, les transportant dans sa jupe repliée comme un baluchon. Ainsi elle montrait ses gambettes au-dessus des genoux, mais à cette heure, elle ne devrait croiser personne pour s'en choquer ! Les bocaux tintant au rythme de ses pas, elle se dirigea vers le temple, laissant derrière elle des pâquerettes et des boutons-d'or qui fleurissaient dans l'empreinte de ses pas.
Bientôt, les dalles de marbre remplacèrent le gazon, arrachant une petite moue à la nymphe. La pierre était vraiment trop impersonnelle. C'était une matière tellement froide comparée aux plantes !
Sur le seuil de la porte secondaire, la jeune femme marqua un temps d'arrêt. Si elle allait directement poser ses onguents à l'office, elle risquait de tomber sur un des Prêtres... et elle se ferait encore taper sur les doigts. Elle décida donc de repasser par ses appartements. Le plus court chemin pour les rejoindre était de passer par la partie publique du temple, puis par la Chambre d'Hélios -ou seule la Grande Prêtresse et Hélios lui même pouvaient pénétrer-.
Ses appartements avaient deux accès : un par la Chambre du dieu, et un par un couloir dans la partie arrière du temple, accessible seulement aux Prêtres, aux Esclaves du Temple et à quelques privilégiés invités exceptionnellement. Le chef des Prêtres n'appréciaient pas qu'elle passe par là... Mais il n'était pas là pour lui faire des reproches. Elle s'aventura donc dans la lumière qui inondait le temple par un puits central. Une fontaine clapotait doucement en son centre, qu'elle avait agrémenté de nénufars peu de temps après son arrivée. Elle avait même trouvé des poissons rouges !
Chantonnant distraitement une comptine en gaélique, elle arriva dans la salle principale du temple. Comme à chaque fois qu'elle voyait la statue d'Hélios, elle sentait ses joues rougir tandis qu'une chaleur envahissait tout son corps... Elle ferma les yeux et inspira profondément pour reprendre son calme et se dirigea vers le fond, prête à passer de l'autre côté des voilages qui menaient à la Chambre.
Elle stoppa net en remarquant finalement Eldörine. A cette heure de la matinée, les fidèles étaient encore rares. Perdant pied, elle resta à le regarder pendant deux secondes. Isobel avait oublié qu'elle se trouvait pieds nus, que sa robe était tâchée et relevée sur ses jambes. Elle lui sourit et murmura la formule rituelle de salutations des fidèles d'Hélios.
- Que le Dieu Soleil illumine votre route...
Elle n'osait pas parler plus fort au risque de briser le silence du temple. Pour qui ne la connaissait pas, sa robe ne permettait pas de la reconnaître comme la Grande Prêtresse. Sa tenue si simple aurait pu appartenir à n'importe quelle occupante du Temple.
Dans l'exercice de sa fonction, la Nymphe arborait des tenues richement décorées en tissu précieux, et l'anneau d'or à sa main gauche luisait faiblement comme pour la désigner aux yeux de tous. Avec sa main enfouie dans les plis de sa robe, les gens ne pouvaient pas voir la marque de sa position... Pour ça aussi, elle se serait faite gronder...
Elle s'approcha le temps de demander :
- Avez-vous besoin de l'aide du Temple ? Ou désirez-vous que je vous laisse à vos prières...?