Retour de flamme [PV : Kitsu Hataki/Lukos]

Je ne parvenais pas à croire qu'un esclave ait pu me surprendre... A peine avais-je quitté la chambre de la Reine que deux gardes bâtis comme des hoplites m'avaient arrêté en me menaçant de leurs lances, m'ordonnant de les suivre. A leur côté se tenait l'esclave en question, qui se frottait les mains, ravi d'avoir épinglé l'amant d'un soir de Tara Yseut, souveraine de la ville d'Aros. "Tu vas regretter d'avoir séduite Sa Majesté, m'avait-il dit, le roi Hataki va m'offrir une belle récompense pour ta capture !". Et je marchais maintenant, les mains attachées dans le dos par des cordes épaisses. Si je l'avais voulu, j'aurais sans problème pu les rompre grâce à ma force herculéenne, et j'aurais ensuite pu me débarrasser des deux gardes qui marchaient de chaque côté de moi, sans oublier au passage d'apprendre la discrétion à cet esclave trop curieux... Mais je savais que ce la n'aurait fait qu'envenimer les choses. Kitsu Hataki avait toute une armée à son service. Et moi, j'étais seul. Jamais je n'avais autant regretté Eratos, ma ville natale, que je n'étais sans doute pas près de revoir...
Nous passâmes une lourde porte en bois richement décorée, et nous arrivâmes dans la salle du Trône. Sur ce trône siégeait fièrement Kitsu Hataki, époux de Tara Yseut et souverain millénaire d'Aros. Il était plutôt frêle, comparé à moi, mais je ne m'y fiai pas... Il avait certainement des pouvoirs magiques redoutables, sinon, il n'aurait certainement pas pu conserver son trône pendand deux mille ans.

- Voici l'homme qui a partagé la couche de votre femme, Ô Kitsu notre roi ! lança pompeusement l'esclave en s'inclinant jusqu'au sol.

La tentation était trop grande... Ce misérable cafard me tournait le dos, il était magnifiquement bien penché et suffisament près de moi. Les gardes ne me surveillaient pas trop, je lançai violemment ma jambe en avant, envoyant ainsi un prodigieux coup de pied au postérieur de l'esclave qui alla embrasser le carrelage de marbre. Les deux gardes me maîtrisèrent, mais le roi leur fit signe de ne pas me tuer... Il devait avoir quelque chose à me dire avant.

Dès que l'esclave se fût étalé de tout son long suite à mon coup de pied, les bras musclés et noueux de l'un des deux gardes m'aggripèrent et il me passa un couteau sous la gorge... Mais avant qu'il n'ait eu le temps de m'ouvrir la carotide, le souverain d'Aros se leva brusquement de son trône et fit signe à son homme de m'épargner. Les gardes, intrigués, le regardèrent s'avancer vers nous, tout en continuant cependant à me maintenir solidement par les bras. Kitsu Hataki tira son épée et continua à s'avancer dans ma direction, me regardant dans les yeux avec une expression froide. Lorsqu'il fut tout près de moi, il leva son arme et l'abattit avec violence... Sur la tempe de son esclave, qui venait à peine de se relever, lui écorchant le cuir chevelu. Si Kitsu n'avait pas utilisé le plat de sa lame pour frapper, nul doute que l'esclave en aurait eu la tête tranchée en deux. Les deux gardes qui m'encadraient furent tellement surpris de la réaction de leur souverain qu'ils me lâchèrent et, déséquilibré, je tombai à la renverse. Le roi me regarda, toute trace d'animosité avait disparu de son visage. Il n'avait vraiment pas l'air d'un mari cocu face à l'amant de sa femme...

- Lève-toi, je ne veux pas que les personnes qui sont des amis de ma femme soient traitées ainsi, me dit-il d'une voix bienveillante en me tendant la main.

Je me redressai jusqu'à m'agenouiller, et j'écartai violemment les bras, faisant ainsi éclater les liens qui m'entravaient les poignets. Je saisis la main du roi et, avec une facilité déconcertante, il me tira vers lui, me remettant sur pieds comme si mes cent cinquante kilos ne représentaient pour lui qu'une charge insignifiante. Il se tourna ensuite vers ses gardes, qui avaient aidé l'esclave blessé à se relever.

- La prochaine fois, n'écoutez pas les esclaves. Vous savez pourtant que ma femme et moi, nous allons temps en temps de notre côté pour avoir d'autres relations, leur lança-t-il d'un ton chargé de reproches.

Les deux gardes acquiescèrent, et ils quittèrent la pièce, emportant avec eux l'esclave, probablement pour l'emmener voir un des médecins du palais. Hataki les regarda partir, une expression blasée sur le visage. Il soupira et se tourna vers moi.

- Veux-tu quelque chose à boire ou à manger, l'ami ? me demanda-t-il d'un ton plus enjoué.

Sa réaction me déconcerta tout autant que sa demande... A l'entendre, j'étais à ses eux quelqu'un de bien alors que j'avais fait jouir son épouse il y a à peine une heure. N'importe quel autre homme m'aurait certainement égorgé comme un chien, mais lui, non. Il semblait même se soucier de moi. Réalisant soudain devant qui je me trouvais, je m'inclinai poliment avec tout le respect dû au souverain d'une ville telle qu'Aros.

- Votre générosité envers l'homme qui a partagé le lit de votre épouse me surprend, Ô roi. Non seulement vous ne tenez rigueur à personne de ce que votre femme et moi avons fait, mais en plus, vous me traitez d'ores et déjà comme un humain alors que n'importe qui d'autre aurait d'abord vu en moi une bête vicieuse à castrer de toute urgence pour avoir osé commettre un tel affront.

Je me redressai. Kitsu était plus petit que moi, il m'arrivait à peu près à la hauteur des pectoraux et il devait lever la tête pour pouvoir me regarder en face.

- Je m'en voudrais de m'imposer compte tenu de ce que j'ai déjà fait, mais puisque vous me le proposez si gentiment... J'ai toujours apprécié les vins d'Aros. M'accorderiez-vous l'honneur de me laisser en partager un verre en votre compagnie, Ô roi Kitsu ? demandai-je timidement au souverain.

Ma tirade fit rire le roi, qui rangea calmement son épée.

- Oh tu sais jeune loup, je ne suis pas mieux que ma femme, j'aime aussi bien les plaisirs de la chair qu'une jeune femme peut m'offrir donc si elle fait l'amour avec n'importe qui, moi aussi je le fais aussi bien ! me répondit-il, toujours sur un ton amusé.

Puis, il ôta sa cape et la confia à un esclave avant de reprendre la parole.

- Tu veux goûter les bons vins d'Aros ? Alors viens, mon ami ! dit-il en me faisant signe de le suivre.

Je lui emboîtai le pas et nous entrâmes dans un salon luxueux dont l'un des murs donnait sur un grand balcon qui permettait d'admirer la quasi-totalité de la ville, ainsi que le majestueux Temple de Zeus, qui se trouvait juste en face du château, bien qu'il en fût séparé par nombre d'habitations. Un groupe d'esclaves musicien se mirent à jouer une musique que j'identifiai comme étant Akousate* tandis que le roi d'Aros faisait signe à un autre esclave de nous apporter une amphore de bon vin, ce qu'il fit immédiatement. Kitsu Hataki prit place sur fauteuil à la structure dorée richement sculptée couvert de draps bleus, couleur de Zeus. Je m'assis sur un fauteuil similaire tandis que l'esclave revenait, portant une amphore de vin et deux gobelets sur un plateau en or.

- Des fois, j'en ai marre de toutes les plaintes que l'on me fait ! soupira le roi en se saisissant de l'amphore. Il versa le liquide rouge dans son verre, puis dans le mien, et m'invita à boire.
- Vous savez, Ô roi, j'étais parfaitement au courant de vos moeurs libertines. Si vous aviez été un couple attaché à la fidélité, comme il est de tradition dans notre société**, jamais je n'aurais cédé aux charmes de votre ravissante épouse. Cela aurait heurté mes convictions car, en tant que gardien du Temple d'Aphrodite, l'amour est pour moi une chose sacrée. dis-je en me saisissant de la coupe qui m'était destinée sur la table.

Avant de boire, je portai cependant, instinctivement, le gobelet à mon nez afin de renifler le vin. Kitsu paraissait sincère, mais au fond de moi, je craignais qu'il n'ait tenté de me mettre en confiance pour m'empoisonner, ce qui aurait été une mort bien plus douloureuse qu'un coup de couteau dans la gorge. Je ne décelai cependant aucune trace de drogue dans cette coupe, je ne sentais que le délicieux bouquet du vin. Heureusement, je parvins à dissimuler ma méfiance derrière mes talents d'oenologue. Nul doute que Kitsu, qui n'avait, je le savais maintenant, aucune mauvaise intention, aurait été extrêmement vexé de me voir me méfier de la sorte. Je pus donc faire comme si, au lieu de chercher une odeur de poison, je m'étais en réalité pleinement délecté du parfum de ce vin.

- Il a une sacrée arôme... Et une délicate odeur chaude et fruitée... Je parie que les raisins qui ont permis la création de ce vin furent cueillis en plein soleil voici environ... Je dirais dix ans, au beau milieu du mois de Métageitnion, lorsque la chaleur était à son comble.

Le roi me regarda avec une expression d'incroyable étonnement sur le visage... J'avais certainement deviné juste. Mon odorat ne m'avait jamais trompé et je bus avec délice une gorgée de ce vin succulent, non sans avoir auparavant levé ma coupe en l'honneur de la générosité de Kitsu... Et de la beauté de sa femme.

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* AKOUSATE : Air de musique grec fort ancien (https://www.youtube.com/watch?v=h315HnKWqH4).

** FIDÉLITÉ : Contrairement à ce que peuvent laisser penser les nombreuses aventures extra-conjugales de Zeus, les grecs de l'antiquité n'étaient pas libertins.

Kitsu agita lentement sa coupe devant lui, faisant décrire au vin un petit tourbillon dans le verre.

- Depuis qu'un de mes esclaves, qui venait d'un pays appellé la France, m'a expliqué comment très bien conserver le vin et surtout comment le rendre bon, je lui ai donné le poste pour faire du vin, m'expliqua le roi.

Il but ensuite l'entièreté de son verre en une seule gorgée, tandis que je savourais lentement celle que j'étais en train de prendre... Ce vin était si bon que, d'après moi, seuls les Vignerons de Dyonisos pourraient en produire un qui soit plus raffiné.

- Magnifique, n'est ce, pas mon ami ? me demanda le souverain de sa voix calme et paisible en se resservant.
- Oh, oui ! répondis-je en léchant le vin qui s'était accroché par petites gouttes aux poils qui bordaient mes minces lèvres noires.

Je me levai ensuite, tenant toujours ma coupe à demi-pleine dans ma main, et je me dirigeai vers le balcon. Une délicate brise nocturne entrait dans la pièce grâce à cette ouverture qui menait à l'un des plus beaux points de vue panoramique artificiels qu'il m'ait été donné de voir. De ce balcon, on pouvait admirer presque l'entièreté de la ville d'Aros, ainsi que les montagnes environnantes et, au loin, je pouvais voir les rayons argentés de la lune se refléter sur la surface calme de l'océan.

- Et cette nuit aussi est magnifique, dis-je en me délectant d'une autre gorgée de ce vin d'exception.

Des bruits de pas sur les dalles du balcon m'indiquèrent que Kitsu venait de me rejoindre. Il tenait lui aussi son verre à la main et il s'appuya sur la balustrade en marbre du balcon afin d'apprécier la vue en poussant un autre soupir d'aise.

La question du roi me surprit, d'autant plus qu'il me la posa sans aucune sonorité désagréable dans la voix. On pouvait aisément imaginer une telle phrase prononcée sur le ton du reproche qui la ferait sonner comme : "alors salopard, ça t'a plu de bourrer ma femme et de la remplir de foutre ?!"... Mais non, Kitsu m'avait vraiment posé cette question comme s'il s'agissait de quelque chose d'anodin, comme s'il me demandait : "Alors, comment as-tu trouvé ce repas ?" ou "alors, comment as-tu trouvé ce vin ?". Qu'il soit libertin était une chose, mais qu'il le soit au point d'atteindre un tel degré de tolérance me laissa d'abord sans voix. Puis, constatant qu'il attendait vraiment une réponse, je bus une autre gorgée de vin avant de prendre la parole.

- Comment j'ai trouvé Tara... Hé bien, pour faire court, disons qu'elle est vraiment digne d'être l'amante d'un roi. Même si sa longue queue en os, ses ailes et ses oreilles étranges peuvent paraître d'inquiétants attributs au premier abord, la beauté divine de son corps arrive parfaitement à faire oublier ses caractéristiques démoniaques, et... Et je ne vous cacherai pas qu'elle m'a offert un coït mémorable. D'une part parce qu'elle fait l'amour divinement bien, et d'autre part...

Je m'interrompis. J'hésitai à poursuivre ma phrase car la suite était assez grivoise et je regardai Kitsu d'un air hésitant. Mais voyant qu'il semblait vraiment curieux de connaître la suite, je poursuivis.

- ...Et d'autre part, j'ignore si c'est dû au fait qu'elle soit une démone et qu'elle possède par conséquent certains pouvoirs, mais... Je suis membré comme un taureau et malgré cela, j'ai réussi à faire entrer l'entièreté de ma verge énorme à l'intérieur du sexe de Tara sans lui causer le moindre mal. Au contraire, ça a même paru décupler son plaisir et l'exciter encore plus.

Je me tus. Buvant une autre gorgée de vin, je repensai à la surprise que j'avais ressenti en constatant que le sexe de la reine pouvait accueillir sans mal la totalité de mon sexe de trente centimètres. Les joues de Kitsu s'étaient empourprées. Je crus d'abord à de la jalousie mais je m'aperçus, en me concentrant sur ses émotions, que ce n'étaient que les effets du vin... Et d'une certaine excitation aussi. Peut-être essayait-il d'imaginer le corps sublime de son épouse pénétré par la verge énorme d'une bête, et que l'image de cette scène l'excitait... Je n'en savais rien. Mais j'étais heureux que ce roi soit si ouvert d'esprit.

La transformation de Kitsu me surprit tellement que j'en lâchai mon verre. Heureusement, la coupe était en métal et ne se brisa pas... Mais le vin était perdu.

- Tu vois, ceci est ma forme de démon. Aucun de mes adversaires ne l'a vu sans en mourir, donc personne ne peut dire à quoi je ressemble en démon, déclara le roi d'une voix d'outre-tombe, sur un ton qui laissait penser que pour lui, se transformer en un monstre de glace de trois mètres de haut était une chose parfaitement anodine...

Avant que je n'aie pu dire quoi que ce soit, Kitsu se métamorphosa de nouveau, retrouvant son apparence normale. Il m'adressa un sourire complice et me dit, de sa voix calme :

- De plus, j'ai aussi hérité de certains attributs des démons, dont le sexe assez impressionnant. Voilà la raison pour laquelle ma femme a pu te supporter.

Je poussai un soupir de soulagement qui pouvait paraître assez incompréhensible... La vérité, c'était qu'une peur glacée s'était emparée de moi lorsque Kitsu s'était métamorphosé, comme si sa seconde apparence était une personnification de toutes les craintes ancestrales des habitants d'Eviala. Le voir retrouver son aspect humain fut pour moi un indescriptible soulagement et je décidai de ne pas aborder le sujet de son double-visage.

- Je comprends... Mais démon ou pas, la voir accueillir en elle un sexe de trente centimètres de long et trouver cela agréable restait quelque chose d'assez impressionnant. J'imagine que de telles choses me surprendraient moins si la plupart de mes conquètes n'étaient pas de simples Mortelles.

Après avoir prononcé ces mots, je reculai, laissant passer un esclave qui accourut pour nettoyer la tache de vin sur le sol. D'où cet esclave sortait-il et comment savait-il que j'avais renversé mon verre, je n'en savais rien. Une autre énigme à mettre sur le compte du Château d'Aros, j'imagine. Une fois le vin nettoyé, le petit esclave repartit en courant de là où il venait, son petit chiffon sous le bras. Haussant les épaules, je repris la parole.

- Quoiqu'il en soit, étant donné que je travaille au Temple d'Aphrodite à Eratos, partager ma couche avec des femmes sublimes est une chose qui m'arrive fort souvent. Mais je dois bien vous avouer que, niveau performances physiques, aucune des Prêtresses que je connais n'est capable de me faire ce qu'a fait votre femme. Outre son sexe en apparence sans fond, ce qui m'a grandement impressionné chez elle fut l'emprise qu'elle avait sur mon plaisir... Elle a réussi à me faire jouir plusieurs fois d'affilée, avec à chaque fois une éjaculation importante à la clé, et je suis sûr qu'elle aurait pu me faire mourir d'épuisement si elle l'avait voulu. Les seules femmes qui avaient déjà réussi à me faire ressentir une chose pareille auparavant étaient toutes des Succubes, et mes conquêtes Succubes ne se comptent à ce jour que sur les doigts des deux mains. Vous êtes vraiment un homme fort chanceux, Ô roi Kitsu, dis-je en regardant mon interlocuteur dans les yeux.

Enfin... "Dans les yeux" était une façon de parler, vu que les siens étaient cachés par un bandeau. Bizarrement, il paraissait néanmoins capable de voir. *Ne cherche pas à comprendre, Lukos... C'est un démon, et les démons, hé bien ils ne fonctionnent pas comme tout le monde*, pensai-je en haussant légèrement un sourcil.

Je sentis une immense tristesse émaner de Kitsu lorsqu'il m'évoqua sa vie passée il y a de celà deux millénaires... Et le souverain d'Aros ne tarda pas à fondre en larmes, se laissant tomber sur un banc appuyé contre le mur du palais. L'alcool qu'il avait bu devait probablement multiplier par dix les émotions qu'il ressentait, changeant ainsi une simple nostalgie en une profonde tristesse. Moi aussi, je commençais à me sentir déprimé, pas au point d'avoir envie de pleurer car j'avais moins bu que le démon, mais suffisamment pour me sentir fort mal, à la fois pour lui et pour moi. Je m'assis à son côté et je lui posai une main sur l'épaule. Si je n'avais pas eu un peu d'alcool dans le sang, jamais je ne me serais permis une telle familiarité envers le souverain d'une ville aussi puissante qu'Aros... Mais sa peine me faisait mal et je voulais le réconforter.

- Je vous comprends, vous savez... Mais vous au moins, vous avez une femme qui vous aime, et vous en aviez aussi une lors de votre vie de Mortel il y a deux mille ans. Moi, ma fonction au Temple me condamne au célibat, et puis... Et puis, même si je pouvais me marier, quelle femme voudrait s'unir à moi pour la vie ? Je ne suis même pas un homme, je ne suis... Qu'une bête. Je suis bien bâti et bien membré, mais ce sont justement pour ces raisons que la plupart des femmes qui me connaissent ne me voient que comme un plan cul, que comme un mâle dont on se sert et dont on se débarrasse ensuite. Jamais aucune d'entre elles ne voudrait devenir l'épouse du Loup d'Eratos, et de toute manière, seules les prêtresses d'Aphrodite et les démones comme votre femme peuvent supporter la taille de mon sexe. Une femme normale ne ressentirait aucun plaisir avec moi, je réussirais au mieux à lui faire mal, au pire à la blesser. Et puis...

Je soupirai et ma voix s'étrangla. Moi aussi, je commençais à avoir les larmes qui me montaient aux yeux. Moi aussi, l'alcool me rendait maintenant horriblement triste, et passablement pitoyable.

- Et puis, je suis le seul représentant connu de ma race. Jamais je n'aurai une femme et jamais je n'aurai d'enfants, j'ignore qui je suis vraiment, d'où je viens, qui sont mes parents... Même mon véritable nom, je l'ignore ! O lukos*, c'est tout ce que je suis ! Vous au moins, vous aviez une famille avant, vous avez connu vos parents, vous... Vous...

Je ne parvins pas à finir ma phrase. Moi aussi, le chagrin me fit fondre en larmes, comme Kitsu... Nous étions vraiment ridicules, et les esclaves musiciens continuaient de jouer Akousate, comme s'ils n'entendaient pas mes pleurs et ceux de leur souverain. Et cette musique était si mélancolique... Kitsu s'était blotti contre moi pour continuer à pleurer, mouillant de ses larmes ma toge écarlate. Je serrais le roi d'Aros contre moi, tel un gros chien contre lequel s'appuierait un petit enfant éploré.

La réponse du roi me fit hausser les épaules et je soupirai.

- S'il y a d'autres représentants de ma race à Eviala, alors ils se cachent drôlement bien... J'ai énormément voyagé durant les années précédant mon éphébie*, et jamais je n'ai rencontré d'autres hommes-loups au cours de mes périples.

Je me levai. Les effets de l'alcool semblaient se dissiper, je me sentais maintenant moins mélancolique. Je titubai un peu et j'allai m'assoir auprès du roi.

- Mais qui sait, peut-être avez-vous raison... Pour l'heure, les anciennes Prêtresses du Temple d'Aphrodite, celles qui m'ont recueilli quand je n'étais qu'un nouveau-né, sont ma seule famille mais peut-être mes vrais parents sont-ils toujours en vie quelque part et qu'avec un peu de chance, je les retrouverai et que je rencontrerai un jour une belle femme-louve qui...

Je m'interrompis... Je venais juste de me souvenir que la personne à laquelle je racontais ma vie en ce moment était le roi de la ville la plus puissante de l'île. En faire mon confident, c'était à mes yeux quelque chose de fort indécent et je m'en voulus de m'être montré si familier envers lui sous l'emprise de l'alcool.

- Oh, mais je vous embête avec mes problèmes ! Excusez-moi, je n'ai pas à me plaindre devant vous de choses qui ne concernent que moi. Et puis, je m'en voudrais de vous saper le moral avec ma déprime.

Je poussai un autre soupir et je levai la tête pour contempler les étoiles.

- Ceci dit, je vous remercie de tant de sollicitude... Le dernier démon que j'ai croisé a essayé de me tuer et jamais je n'aurais cru en rencontrer un qui sache faire preuve de bonté et d'altruisme, dis-je sans quitter des yeux ce ciel de nuit d'Été dans lequel brillaient astres et constellations.

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* EPHÉBIE : Service militaire suivi par les athéniens âgés de 18 ans. L'éphébie dure deux ans et les jeunes recevant cette éducation sont appellés "éphèbes".